Vous avez dit scriptothérapie ?
La Scriptothérapie, un bien grand mot qui a pourtant, pour moi, une signification toute simple :
Ecrire pour se faire du bien !
En tant qu'écrivain-biographe depuis une dizaine d'années, je me suis souvent rendu compte que les personnes qui décidaient de me confier la mise en page de leur histoire avaient de lourdes douleurs ancrées en elles (deuil, traumatisme, femme battue...). Pour nombre d'entre-elles, cette aventure s'est révélée extrèmement positive et la mise en page de leurs maux a eu un effet thérapeutique indéniable.
Fort de ces diverses expériences, je cherche à développer ce concept, à le vulgariser... Une scriptothérapie peut se réaliser seul dans son coin, aux yeux du monde entier via un blog, ou, si l'écriture est un exercice trop compliqué, pas le biais d'un scriptothérapeute. Les entretiens avec le scriptothérapeute n'en sont que plus efficaces car ils sont préparés, réfléchis...
Pour vous faire mieux comprendre ce qu'est la scritpothérapie, j'ai décidé de mettre en page plusieurs de mes expériences sous la forme d'un roman. J'ai choisi cette formule pour rendre mon récit plus vivant, mais aussi pour protèger l'identité des personnes concernées. Ce roman, je vais vous le confier jour après jour en espérant qu'il suscitera, chez vous, un brin d'intérêt... N'hésitez-pas à laisser vos commentaires...
Destins Croisés
Roman Scriptothérapique
Marina
Depuis plusieurs dizaines d’années, Marina avait en elle cette terrible souffrance. Elle ne savait pas comment s’en défaire. Chaque nuit, le spectre de l’homme, qui l’avait tant fait souffrir, surgissait pour venir la tarauder et peupler son sommeil d’images de corps d’enfants désarticulés et ensanglantés. Des visions d’horreur qui la faisaient se redresser dans son lit, hébétée et en sueur. De ses cauchemars, de son passé et de ses souffrances, elle en avait parlé à différents psychiatres, mais aucun d’entre eux n’avait réussi à les faire disparaître. Cela lui avait fait du bien, sur le coup, de s’épancher, mais, à chaque fois, le spectre morbide était réapparu pour à nouveau la plonger dans de fortes angoisses. Pourquoi moi ? Pourquoi ai-je tant subi ? Pourquoi n’ai-je pas fui ? Cette satanée culpabilité ne s’atténuait pas et lui rendait la vie impossible.
Elle avait essayé tous les traitements et, même si certains médicaments avaient atténué ses douleurs, ils ne les avaient jamais fait complètement disparaître. Acupuncture, hypnose, elle avait tout tenté ; rien n’y fit… Il était difficile pour elle de se confier. L’histoire, son histoire et celle de ses enfants, avait été enterrée. Il ne fallait pas remuer le passé et rouvrir des plaies qui, si elles n’étaient sûrement pas complètement guéries, étaient au moins cautérisées. Elle gardait pour elle son mal-être et essayait, tant bien que mal, de sauver les apparences devant les siens. Ses enfants avaient leur propre vie et sa fille, la petite dernière, n’avait rien vécu de son lugubre passé. Elle se devait de la préserver et de ne rien laisser paraître. Pas facile de jouer un rôle à longueur de journée, de jouer la maman heureuse alors que l’on s’écroule quand on se retrouve seule. Elle faisait de son mieux, mais sa fille grandissait et il était de plus en plus difficile de cacher les choses. Elle se voulait proche d’elle tout en lui cachant des vérités. Fallait-il qu’elle lui raconte ? Fallait-il qu’elle lui explique les raisons des larmes qu’elle surprenait parfois ? Fallait-il qu’elle partage avec elle sa culpabilité ?... Des questions, encore des questions, qui ne venaient qu’amplifier ses angoisses.
Il n’y avait qu’une personne à qui elle pouvait se confier, c’était Irène. Irène, son amie, sa seule véritable amie. Il n’y en avait pas d’autre. Ce qu’elle avait vécu l’avait rendue méfiante. Une véritable carapace l’enveloppait : ses sentiments, qu’ils soient amoureux ou amicaux, elle ne les distribuait plus qu’au compte-goutte. Irène, elle l’avait rencontrée lors d’une soirée chic organisée au club local de golf. Tout de suite, elle s’était sentie attirée par cette femme à la quarantaine épanouie. Cela avait été réciproque et, lors de leur première et longue conversation, elles avaient devisé et échangé, comme si elles s’étaient connues depuis une éternité. Irène était docteur en médecine, une ponte dans sa partie, la chirurgie cardiaque. A la fin de cette soirée, enchantées, elles s’étaient promises de se revoir…
Par la suite, Marina comprit mieux pourquoi elle s’était sentie autant attirée par Irène : elle avait, elle aussi, un terrible secret. Elle ne s’en ouvrit pas dès leurs premières rencontres, mais, peu à peu, un lien très fort se tissa entre elles et elle le dévoila : sous ces apparences féminines, sous ce corps de femme esthétiquement sculpté et ce visage aux traits fins, toujours délicatement maquillé, se dissimulait ce qui avait été un homme. Gilles était mort et Marina l’avait remplacé. Elle s’était confiée à elle, lui racontant son parcours dans les moindres détails : sa difficile enfance de garçon, alors qu’elle s’était toujours sentie fille au plus profond d’elle-même. Un passage dans un monde de l’adolescence au sein duquel il se sentait complètement étranger. En quête de sa véritable identité, il n’en trouva point au sein d’un univers où, à cette époque, les préjugés faisaient lois. Exclu, il s’était renfermé sur lui-même ne trouvant qu’un peu de réconfort auprès de sa mère, le seul être semblant le comprendre. Son père ne voyait l’avenir qu’à travers son fils qui serait là pour reprendre la suite de son étude de notaire. Un fils qui porterait haut et loin le nom qu’il avait eu tant de mal à se faire au sein d’une petite bourgeoisie de la campagne picarde. Ce fils, pourtant, il n’avait qu’une envie, c’était de vivre sa vie de fille. Ce père était devenu de plus en plus odieux et, pour finir, alors qu’il ne pouvait plus lutter face à la réalité de son fils, il l’avait chassé de la maison. Elle avait dix-huit ans et un bac scientifique en poche.
Partie à Paris où une tante l’accueillit, Irêne s’était alors lancée, forte d’une volonté à toute épreuve, dans des longues années de médecine. En secret, sa mère était restée en relation avec elle et l’avait soutenue dans sa démarche. Le plus important, pour elle, était de savoir son enfant heureux, peu importe qu’il soit une fille ou un garçon. Gilles voulait devenir la femme qu’il était depuis toujours, et, en devenant médecin, il aurait ainsi le maximum de connaissances et de possibilités de mener à bien son projet. Peu à peu, la transformation se fit tout en grimpant les échelons qui l’avaient amenée à la tête d’un très important service de chirurgie. Les hormones et la chirurgie esthétique l’avaient transformée et le résultat, le moins que le puisse dire, était plus que réussi. Pourtant, Marina n’était pas encore complètement satisfaite et elle n’était pas encore arrivée à ce qu’elle voulait vraiment. Il lui restait encore à devenir réellement une femme et elle envisageait de changer de sexe. L’opération allait se faire aux Etats-Unis, mais, même si elle avait surmonté tous les obstacles que la société avait mis sur sa route, elle avait peur. Ce n’était pas la peur de l’opération en elle-même, mais plutôt une crainte par rapport à elle-même. Allait-elle se plaire ? Le Gilles allait-il complètement disparaître et permettre à Irène de vivre pleinement sa vie de femme ? N’allait-elle pas être considérée comme un monstre ? Allait-elle être aimée ?...
Elle s’était ouverte à Marina qui, en retour, lui avait aussi raconté ses secrets. Elle l’avait su l’écouter. Par la suite, elles avaient à maintes reprises échangé et savaient se réconforter quand cela n’allait pas bien. Leurs liens étaient devenus très étroits et elles avaient commencé à partager leur vie de femme. Marina se surprenait parfois à un peu regretter que Gilles soit mort… un homme avec autant de délicatesse, c’est rare. Cette sensation disparaissait rapidement quand elle voyait son amie se réaliser pleinement.
Marina, malgré cette amitié solide et sincère, n’avait pas l’impression d’avancer. Angoisses et stress étaient omniprésents. Un jour, alors qu’elles devisaient devant une tasse de thé, Irène lui dit :
- Je pense que j’ai peut-être trouvé un moyen pour que tu ailles mieux.
- Je t’écoute, mais je crois que j’ai tout essayé…
- Il faut que tu écrives ton histoire, que tu mettes en page tes souffrances et que le papier te serve d’exutoire. J’ai lu des articles là-dessus et en psychiatrie ils commencent à donner de plus en plus d’importance à l’écrit. Il y en a qui parle de « scriptothérapie »…
- J’ai déjà du mal à me raconter, alors, si en plus il faut écrire… Les feuilles risquent d’être éclaboussées de larmes… Je ne me sens pas vraiment l’âme d’un écrivain, même si j’aime beaucoup lire…
- Tiens regarde, avait-elle dit en lui tendant un article de presse locale, tu as peut-être là ce qu’il te faut.
Sous le titre « Réalisez le livre de votre vie », il était écrit qu’un certain Yves Toullec se mettait au service de tous ceux qui le désiraient pour mettre en page leurs souvenirs. A l’occasion de rencontres et d’entretiens réguliers, il réalisait des livres qui allaient faire le bonheur des enfants et des petits-enfants des auteurs. En fin d’article, il ajoutait que son passé d’éducateur lui avait conféré une certaine qualité d’écoute et qu’il proposait aussi à ceux qui souffrent de mettre leurs maux en page …
- Alors, qu’est-ce que tu en penses ? avait questionné Irène.
- Pourquoi pas, même si je ne suis pas sûre que cela puisse m’apporter quelque chose…
- Qui ne tente rien, n’a rien et, pour continuer les expressions « bateau », si ça ne te fait pas de bien, ça ne peut pas te faire de mal.
- Tu as raison.
- Moi, si j’avais un peu plus de temps, je crois que je me lancerai. Mon témoignage, comme le tien, pourrait aider celles qui sont dans la même situation que nous. Toi, tu as souffert de ne pas trouver d’aide, ou de ne pas savoir à qui te confier pour être entendue, comprise et défendue. Faire de ton histoire un livre, ça pourrait enfin d’aider à mettre les choses à plat et, peut-être te libérer du poids qui empoisonne ton existence.
- Tu y crois ?
- Pourquoi pas ? De toute façon, ça ne coûte rien de contacter et de rencontrer ce monsieur…
Marina avait conservé l’article de presse et les jours qui suivirent, lors de moments de solitude et de détresse, elle le consulta à plusieurs reprises. Elle avait envie d’appeler tout en se demandant si cela valait vraiment la peine. Allait-elle être capable de se raconter ? N’allait-il pas la juger ? Allait-il être capable de retranscrire fidèlement ce qu’elle avait vécu ? Cela allait-il servir à quelque chose ?... Un tas de questions traduisant ses inquiétudes tournaient dans sa tête. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de penser à toutes celles qui, comme elle, se retrouvent chaque jour au côté d’un monstre. Tous les jours des centaines de femmes croulent sous les coups de leur compagnon… Presque tous les deux jours, une en meurt. Et si mon témoignage pouvait faire avancer les choses ? Et si mon témoignage pouvait en sauver quelques-unes ? Et si écrire pouvait me faire du bien ?...
Un matin, elle se réveilla, après une nuit calme, à peu près apaisée. Elle avait eu un rêve agréable et cela ne lui était plus arrivé depuis une éternité. Elle s’était vue, dédicaçant son livre, dans une grande librairie. Les gens défilaient devant elle et lui tendait son livre en la couvrant de compliments sur la qualité de son ouvrage et en la remerciant de les avoir aidés. Tout sourire, elle accueillait, avec une joie intense et une grande fierté, toutes ces marques de sympathie. Bientôt, ce fut une foule de micros et de caméras qui vinrent l’encadrer et son livre devint le symbole d’un énorme mouvement qui rendit la liberté à des milliers de femmes enferrées sous le joug de maris violents qui se retrouvèrent tous sous les barreaux. Un bien joli rêve…
Même si elle se rendit rapidement compte que cela n’avait été qu’un rêve, quelque chose s’était déclenché en elle. La vie n’est-elle pas faite pour réaliser ses rêves ? Ses rêves de femme et de mère heureuse s’étaient évanouis sous une pluie de coups… Pourquoi ne pas essayer de réaliser celui d’aller mieux ?....
Prenant son courage à deux mains et profitant de son état d’esprit positif, elle prit le téléphone et composa le numéro de ce monsieur Toullec. Une voix grave et calme l’accueillit. Nerveuse, elle eut du mal à s’expliquer, l’émotion prenant le dessus. Elle avait envie de se lancer dans cette aventure, mais ses craintes ne s’étaient pas pour autant évanouies. Son interlocuteur avait, semble-t-il, perçu son émoi :
- Il me semble qu’il serait peut-être plus aisé de parler de ce qui vous tracasse en nous rencontrant. Cela ne nous engage à rien et nous verrons, alors, s’il est possible de travailler ensemble. Cette première rencontre est gratuite. Je peux vous recevoir ou me déplacer à votre domicile…
Elle avait immédiatement opté pour une rencontre chez elle, voulant préserver le plus de sécurité possible. De son intérieur douillet elle avait besoin. Elle ne se voyait pas débarquer chez un inconnu et déballer toutes ses misères… Pourtant, c’est ce qu’elle avait déjà fait, à maintes reprises, lors de ses séances de psy qui n’avaient jamais eu de résultats durables. Etant dans un univers qu’elle avait construit à son goût, elle allait peut-être réussir à aller au plus profond de son mal et éliminer, à tout jamais, les spectres qui la hantaient.
A suivre....